Marc Fontecave est professeur au collège de France et chercheur en chimie et sur le stockage de l’énergie.

« Il est urgent de rappeler quelques idées fondamentales pour mettre un peu de rationnel et moins d’idéologie dans la construction de la transition énergétique.

« Rappeler, d’abord, que si la transition énergétique est indispensable pour répondre aux enjeux climatiques, toute politique énergétique, pour être socialement et économiquement acceptable, ne peut pas déroger aux trois principes suivants :

-Elle doit mettre en œuvre les moyens techniques appropriés pour fournir, en quantité suffisante, à tous les citoyens l’énergie qui leur est nécessaire

-Elle doit assurer une sécurité d’approvisionnement et une certaine souveraineté énergétique, en limitant les dépendances extérieures.

-Elle doit assurer un prix minimal de l’énergie limitant la facture énergétique des ménages et favorisant la compétitivité des entreprises.

« Rappeler ensuite que transformer un système énergétique relativement simple (brûler des énergies fossiles) par un système complexe (des énergies intermittentes pour la partie électrique en augmentation massive et de la biomasse pour la partie thermique) ne peut pas être achevé en quelques années. Parce qu’il existe des conditions scientifiques et techniques, sociales, économiques et géo- politiques, qui ne sont pas réunies. Il faudra donc du temps.

« Rappeler enfin qu’une partie de la solution réside dans la connaissance, la recherche, fondamentale, technologique, industrielle et l’innovation. Pourrait-on parler de transition énergétique si des chercheurs et des ingénieurs n’avaient découvert par exemple les batteries lithium-ion, pour lesquelles un Prix Nobel a été décerné en 2019, et développé les voitures électriques, et ne voit-on pas les perspectives de soutenabilité qu’ouvriraient de nouvelles technologies de batteries, batte- ries sodium-ion et batteries tout-solide, élaborées actuellement dans les laboratoires de recherche ? Bien sûr, compte tenu du réchauffement climatique en cours, il ne faut pas trainer. Mais tentons la science, avant de remonter dans les arbres, comme certains nous y invitent ! c’est, je le crois, une formidable perspective de travail et de vie pour les jeunes générations : apprendre, découvrir, innover, entreprendre et produire au service d’une énergie propre et abondante.

« De ces considérations, il ressort que :

-Les 26 ans qui nous séparent de 2050 ne seront pas suffisants pour dé-fossiliser notre système énergétique entièrement. L’objectif zéro carbone en 2050 est totalement irréaliste. En 2050 le monde sera encore carboné. Prenons à nouveau le secteur des transports : certaines mobilités ne seront pas électrifiées (transport maritime et aérien, par exemple), les biocarburants et les carburants de synthèse ne remplaceront qu’en partie les carburants fossiles. Et même si la France était zéro carbone en 2050, de très nombreux pays continueront à utiliser charbon, gaz et pétrole pour assurer un niveau de vie décent à leurs populations.

-La température en 2100 dépassera de plus de 1,5 °C la température préindustrielle. C’est ce que disent des études récentes de climatologues prévoyant plutôt 2,5 – 3°C. Il faudra donc, à côté de la transition énergétique, mettre en œuvre une véritable politique d’adaptation au changement climatique.

-La transition énergétique coûtera très cher. Il faudrait investir 4% du PIB, soit de l’ordre de 100 milliards d’euros par an, pendant 20 ans, pour « verdir » l’énergie, dé-fossiliser l’industrie, rénover l’habitat… ! Qui va payer ? Les ménages, au détriment de leur pouvoir d’achat ? Les entreprises qui verront leur rentabilité et leur compétitivité diminuer ? L’état, qui souffre d’une dette publique massive (113% du PIB) ?

-Cela nous ramène enfin à la question de la décroissance. Celle-ci n’est pas une option, car il n’y aura pas de moyens financiers et d’innovation sans croissance. C’est une condition majeure pour affronter les défis tech- nologiques, sociaux et économiques de la transition ».