« On peut viser la disparition des émissions
liées à l’usage des voitures »

 

Robin Girard est enseignant chercheur à l’École des Mines de Paris où il travaille sur la modélisation prospective de la transition bas carbone. Il explore les alternatives de la transformation de notre économie qui permettent d’atteindre la neutralité carbone. Il est l’auteur du blog www.energy-alternatives.eu

 

Nous émettons chaque année, à l’usage de nos voitures, presque 100 millions de tonnes de gaz à effet de serre, presque le quart
de la totalité des émissions qui ont lieu en
France. D’autres secteurs comme l’agriculture
ou l’industrie, ou d’autres modes de
transport comme l’avion, sont plus difficiles
à décarboner que le véhicule léger, car ce
dernier peut bénéficier du double avantage
de l’électrification directe : un gain d’efficacité
(division par deux ou trois de la consommation
par rapport au moteur thermique) et
la possibilité d’une source d’énergie bas
carbone. On peut ainsi viser à terme la
disparition des émissions liées à l’usage des
voitures et une consommation d’électricité
associée raisonnable. Il est inenvisageable
de faire plus que la moitié de ce chemin
avec le moteur thermique, même avec les
meilleurs efforts d’ingénierie ou de sobriété.
L’hydrogène peut être produit avec de
l’électricité bas carbone mais son utilisation
pour le véhicule léger génère une consommation
d’électricité deux à trois fois plus
grande que par l’électrification directe.
Un moteur à combustion interne hydrogène
ne ferait qu’empirer ce bilan. Les biocarburants
et le biogaz sont disponibles en quantité
trop limitée pour couvrir plus qu’une
petite fraction des besoins, et seront plus
utiles dans d’autres secteurs où l’électrification
directe est difficile.
Mais diminuer les émissions à l’usage n’est
pas suffisant, car l’industrie automobile est
elle-même à l’origine d’une pollution à la
fabrication des véhicules, par exemple lors
de la production de l’acier. Pour le véhicule
électrique, il faut ajouter celle relative à la
fabrication des batteries.
Les technologies que nous déployons pour
diminuer nos émissions (comme le véhicule
électrique, les moyens de production renouvelable)
sont souvent encore fabriquées
avec le système industriel du passé. Nous
produisons l’acier dans des hauts fourneaux
avec du charbon et jusqu’à aujourd’hui, les
batteries étaient produites à partir d’une
énergie provenant de centrales électriques
polluantes en Chine. Mais des usines géantes
de fabrication de batteries, comme celle
de l’entreprise grenobloise Verkor, produisent
aujourd’hui des batteries lithium-ion en
France et en Europe, à partir d’une électricité
moins carbonée et qui, d’ici quelques
années, n’émettra presque plus de gaz à
effet de serre.
Les hauts fourneaux vont être progressivement
remplacés par des fours qui permettront
la réduction directe du minerai de fer à
partir d’hydrogène bas carbone.
Il n’y a pas de solution miracle en matière de
mobilité durable mais le moteur thermique
est la pire des options. La batterie nous
pousse à bien anticiper l’approvisionnement
en matériaux comme le lithium et le cobalt,
à penser l’ouverture de nouvelles mines.
Les tensions à venir soulèvent des questions
géopolitiques, mais aussi environnementales.
Sur ces points, ouvrir des mines en
Europe est une piste à considérer. Des
alternatives se mettent en place comme
avec l’entreprise française Tiamat qui produit
des batteries au sodium.
Pourtant, si l’électrification directe est une
nécessité, les pressions environnementales
montrent qu’elle ne suffit pas. Les collectivités
ont un travail à mener : mettre en place
les bornes de recharge bien sûr, mais aussi
en termes de mobilité légère, de transport
en commun, de pistes cyclables, de covoiturage…
Il faut transformer notre vision du
transport.
Par ailleurs, il faut affiner notre stratégie de
recyclage, dès la conception, pour les batteries
mais aussi l’électronique embarquée.
Dans cette économie des matériaux, contrairement
à l’aire du pétrole, la réutilisation
et le recyclage des batteries seront une clé
de la durabilité car le moteur électrique
pourra rouler plus longtemps que le thermique.
L’ambition de la neutralité carbone pour
2050 est une nécessité par rapport à l’enjeu
climatique ; faisons en sorte qu’elle soit une
source d’opportunités futures pour notre
industrie et un projet d’amélioration de nos
espaces de vie !